Sommaire :

Causerie.

Un duel va avoir lieu à Paris qui assurément passionnera davantage la capilale que le duel de l'Europe et de la Crète. Je veux parler de la rencontre du chevalier Pini, le célèbre escrimeur italien, avec M. Thomeguex, une fine épée parisienne. Ces deux friands de la lame se sont pris de querelle à propos d'un assaut public. Il y a eu, ce qui arrive fréquemment dans le monde du fleuret, d'ardentes contestations sur la valeur des coups de bouton. D'où le duel de demain, dont les résultats seront connus à l'heure où paraîtront ces lignes.

Les rencontres de maîtres d'armes sont toujours suivies par le public avec un intérêt extrême. On se souvient du duel Mérignac-San Malato, où l'escrime italienne et la française furent aux prises comme elles vont l'être demain, et du tournoi à fleurets démouchetés entre Vigeant et Rue. Pendant la semaine où ces nobles épées durent se croiser on ne parla pas d'autre chose à Paris. Il va en être de même pour les belligérants de l'heure présente.

Cependant, ces rencontres entre spécialistes éminents sont rarement dangereuses. C'est surtout un spectacle pour les habitués des salles d'armes, une manifestation d'art avec des coups savamment préparés, des ripostes subtiles, des « phrases » brillantes, le tout terminé par une égratignure décochée dans un beau geste.

Je préfère, pour mon compte, les duels à incidents comiques, où il y a moins de danger encore mais plus d'imprévu risible pour la galerie. La plupart se terminent par un déjeuner copieux sur le terrain même du combat, arrosé de Champagne en guise de sang. Mais l'honneur est sauf, puisque les fers se sont entre-choqués avant les verres.

Au pistolet c'est plus simple encore dans les bons duels bourgeois d'aujourd'hui. Les témoins prennent simplement la précaution de charger les armes en conséquence. De sorte que le projectile passe forcément à plusieurs centaines de mètres des adversaires. Et puis les journaux annoncent gravement que deux balles ont été échangées sans résultat...

Cela vaut mieux que de faire des excuses avant la rencontre, comme ce personnage politique de la fin de l'Empire qui avait fait spontanément amende honorable à son adversaire au moment de s'aligner. Le plus curieux c'est qu'il fut malade à la suite de ce duel pourtant si pacifique. Coïncidence plutôt malheureuse qui lui valut ce mot charmant d'un journaliste de l'opposition : À ça, est-ce que ses excuses se sont rouvertes ?

Il me souvient d'avoir prédit ici même dans ce journal, au sujet de l'exil du roi Béhanzin à la Martinique, qu'un jour viendrait sans doute où la reine Ranavalo irait partager sa déportation. Je n'ai été bon prophète qu'à demi. La souveraine de Madagascar, elle aussi, vient d'être expédiée aux Antilles, mais à la Réunion.

Pourquoi la séparation, en dépit de l'ironie de ce calembour insulaire ? Pourquoi n'avoir pas assemblé ces deux grands débris qui se seraient consolés entre eux ? Béhanzin a besoin de distractions. Il faut aussi à Ranavalo des soins affectueux, pour adoucir l'amertume de l'abdication forcée. Si on les eût concentrés, leurs Majestés auraient sans doute continué d'être nègres et déchues, mais au moins elles se fussent trouvées deux pour partager les mêmes peines.

Monarques tombés qui se souviennent du trône, ils auraient échangé leurs souvenirs d'antan. Béhanzin eût parlé des belles tueries d'Abomey, des chapelets de crânes ornant la case royale, des aimables amazones jouant devant lui au vrai jeu de massacre. Et Ranavalo eût évoqué les joies de l'Emyrne, les nombreux ministres qui furent ses maris, et les bains solennels où les Hovas buvaient, avidement, l'eau lustrale ayant lavé l'auguste corps de la Souveraine. Ce dialogue eût été charmant...

La politique a d'implacables lois. Mais elle a cette fois dépassé la mesure. Et pourtant le ministre des colonies s'appelle M. Lebon !

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour